S’il n’y avait pas eu CEMEC et Ratier avant elle, la moto de messieurs Boccardo, Favario et Grange aurait pu être la BM française. Dotée d’une esthétique discutée – à défaut d’être discutable -, lancée bien modestement à l’assaut d’un marché conquis par la machine de guerre japonaise, la BFG 1300 fait la preuve qu’être douée de réelles aptitudes routières et bourrée de bonnes idées ne suffit pas à faire un succès.
La fin des années 70 est une période charnière pour le petit monde de la moto occidentale, qui est à l’aube de son 3ème empire. Après un premier âge trans-atlantique excitant (première moitié du XXè siècle), une adolescence très britannique (de 1945/50 jusqu’à la décennie 70), C’est presque de l’autre côté du globe que la moto, telle qu’on la connaît aujourd’hui dans les pays dits « développés », trouve sa maturité. Ce sont les japonais, et dans une moindre mesure les allemands de BMW, qui parviennent enfin à lier performances et fiabilité. À l’aube des années 80, l’industrie motocycliste française a perdu la bataille des grosses cylindrées, sans parler du gouvernement qui s’évertue à compliquer la vie des motards. Dans ce contexte, quel français censé voudrait se lancer dans la production de motocyclettes de grand tourisme ? Mais en 1980, les choses sont en passe de changer.
Après la grande ligne droite du « fun-au-mépris-du-danger » des années 70, la moto entre dans la courbe (rapide) de la « technologie-et-de-la-fiabilité ». Dans les seventies, il était surtout question d’aller vite, mais à partir de 1980 il sera certes toujours question d’aller de plus en plus vite, mais aussi d’accrocher la route plus efficacement, freiner correctement et tenir la distance sans que sa monture nécessite une maintenance digne d’un avion de chasse ou pire, d’une Jaguar. Sur ce terrain là, les japonais ont enterré les anglais depuis des années, mais il leur reste pas mal de boulot pour rattraper les bavarois… Et c’est justement au beau milieu de cet imbroglio germano-asiatique que trois français bien inspirés vont développer une moto qui va tenter de faire encore mieux que les célèbres routières teutonnes.
1978, Louis Boccardo a 34 ans, il est ingénieur, il vient de l’aéronautique et il est bourré de (bonnes) idées. En compagnie de Dominique Favario, 27 ans, prof de gestion, et de Thierry Grange, 29 ans, docteur en marketing, il présente un projet au concours « cap sur l’industrie » ; il s’agit ni plus ni moins que de la création d’une nouvelle marque de moto française. On vient de le voir, il faut être fou pour tenter ça dans l’hexagone à cette époque là. Mais leur dossier est bien ficelé et ils gagnent le fameux concours, celui-là et d’autres (Datar et Banque Populaire notamment). Malgré une mauvaise presse de mauvaise foi de la part de magazines soit-disant spécialisés (qui pourtant ne sont jamais allés essayer le proto de Boccardo, Favario et Grange…), entre concours remportés et investisseurs convaincus, l’aventure démarre pour de bon sous la forme d’une SA au capital de 800 000 francs, comptant 40 actionnaires et 8 salariés. Joli début.
Chez BFG on est plutôt du genre actif et on n’a pas attendu de réunir tous les fonds pour se mettre au travail. Le premier prototype de moto est en développement depuis 1978. Nos trois porteurs de projet tablent sur un lancement pour juin 1980. La machine est audacieuse. Il s’agit d’une création mêlant des éléments conçu et/ou fabriqués chez BFG (cadre, boite de vitesse et habillage) et une mécanique à 4 cylindre à plat issue de l’automobile. Tiens, ça me rappelle une certaine Amazonas brésilienne, qui date grosso-modo de la même époque (lire aussi: Amazonas 1600)… Mais la comparaison s’arrête là. Le moteur retenu n’est pas celui de la cox, non môssieur, il s’agit d’un moteur frrrââânçais môssieur : le G13/646 1300 cc qui équipe la Citroën GS, môssieur. Oui oui, vous avez bien lu. Et comme chez BFG on est loin d’être bête, on prévoit même une petite sœur à la 1300, qui sera équipée du flat-twin 650 cc de la Visa. Pour ce qui est des liaisons au sol, BFG fait confiance à d’excellents fournisseurs : jantes en alliage FPS, freins Brembo, fourche Païoli (hélas remplacée par un modèle ‘Telesco’ sur la version de série) et amortisseurs arrière Koni ou De Carbon, c’est le client qui choisit. Côté design, la carrosserie est née sous le coup de crayon de Roger Pitiot et Jean-Yves Ganne de Design Conseil. Ce fameux dessin ! Beaucoup le discutent, ce coup de crayon quelque peu tarabiscoté. Aujourd’hui encore… Parcourez quelques forums moto, C’en est triste. Tous ces motards qui ne jurent que par leur GZXRR-RR et ne voient en la BFG qu’un sujet de moquerie pour délit de sale gueule. Il faut voir la hauteur à laquelle volent les vannes. Enfin, comme disait Courteline, « Passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile est une volupté de fin gourmet ». Mais c’est un autre débat.
La BFG, qu’on aime ou pas son dessin, est une moto qui mérite le respect. On oublie trop vite que son carénage étudié en soufflerie dispose d’un très bon Cx et est tout simplement efficace, il offre une véritable protection au pilote. Et puis personne ne peut prétendre avoir le bon goût universel. Personnellement je ne l’ai jamais trouvée très belle… Mais je ne la trouve pas non plus ridicule face à une BMW RT, qui avouons le, n’est pas une gravure de mode (et je sais de quoi je parle, j’en ai une). Ah oui ! J’allais oublier l’instrumentation. Là encore c’est du sérieux, de l’éprouvé, du « qui-marche-et-qui-vient-de-la-bagnole », mais pas de chez Citroën cette fois-ci, est-ce parce que Thierry Grange roulait en R16 ? Toujours est-il que le tableau de bord de la 1300 BFG, un Jaeger, provient de la R5 Alpine ! Un moteur de GS et un tableau de bord d’Alpine sur une moto… Fallait oser.
Nous voilà en 1980, BFG tient ses promesses et présente sa moto officiellement au salon qui se tient au mois de juin, Porte de Versaille, à Paris. La production se met en route aussitôt, sans Louis Boccardo, qui ne fait plus partie de l’équipe. Je n’ai pas trouvé d’information sur le pourquoi du comment de son départ, mais il est intéressant de constater combien les grandes aventures industrielles ne sont en fait ni plus ni moins que des histoires humaines.
En 1982, les premiers exemplaires de série sortent de l’usine de la Ravoire, dans les environs de Chambéry. Si dans les premiers temps la finition n’est pas son point fort, la BFG 1300 ne va cesser de s’améliorer et devient rapidement une moto très fréquentable. Le pari de la moto française, aussi fou soit-il, est donc gagné… Au début, du moins. La moto est bien née. Sur route elle est efficace. Son châssis est très équilibré et, un peu comme une béhème, la BFG est d’une neutralité à toute épreuve. Son ingénieux réservoir descendant sous la selle contribue à abaisser le centre de gravité, ce qui la rend très maniable, même à basse vitesse. Encore une bonne idée de monsieur Boccardo. Elle est rigide sur l’angle, saine à l’enchaînement de virages, confortable et endurante.
Selon un instructeur motocycliste des Douanes (qui recevront 20 BFG en 1985) : « …La BFG est un bon souvenir pour moi. Elle était impeccable pour nous sur autoroute (entre Hendaye et Bordeaux) car nous pouvions « chasser » à vive allure et relativement confortablement par rapport aux BMW (ou avant lorsque nous roulions sur BSA) grâce au carénage que je trouvais très efficace et à ce moteur certes surprenant mais facile à maîtriser ! Il est dommage qu’elle n’ait pu percer sur le plan commercial. Les jeunes n’ont pas accroché ; les japonaises avaient beaucoup plus d’attrait pour eux ! J’ai roulé sur cette moto tout le temps qu’elles nous ont été affectées et je ne boudais par mon plaisir car je vous confie un secret… Je ne me suis jamais vraiment régalé avec les BMW qui étaient notre outil de travail. J’ai débuté avec des BSA 500 Royal Stars qui étaient plus « fun »…»
(source : Moto Club BFG / http://www.bfg.asso.fr)
De l’avis de nombreux motards, la BFG 1300 dispose d’une mécanique plutôt sympa et pas si placide que lorsqu’elle tracte cette bonne vieille Citroën GS. C’est qu’une moto c’est quand même un peu plus léger à emmener qu’une voiture. Avec 70 cv pour environ 270 kg (contre plus de 900 pour une GS), la moto de grand tourisme française du début des années 80 n’a rien de ridicule. Capable de près de 200 km/h en vitesse de pointe, elle est même parfaitement dans le ton de ses cousines allemandes. Et puis, quelle idée brillante que de faire motoriser la moto par Citroën ! En ce début des eighties, sur le territoire français, ce sont plus de 5000 mécanos qui connaissent ce moulin sur le bout des doigts. BFG dispose donc d’un solide réseau d’entretien pré-établi. Bien vu ! Pourtant, et malgré des atouts certains, les choses ne vont pas se dérouler si bien que ça.
Les français sont donc doués pour concevoir des motos. C’est un fait. Mais ils sont moins doués pour en faire une affaire rentable. BFG ne fait hélas pas exception à la règle. Enfin, cette fois-ci tout n’est pas de la faute des gérants de la marque qui, dès sa première année d’existence décident de fournir des motos d’essai à l’administration. L’État semble conquis par la moto française et annonce vouloir passer commande. Aussi, dès 1983, BFG se rapproche de MBK afin de pouvoir augmenter sa cadence de production. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais seulement voilà, avec un total de 160 motos, les commandes gouvernementales ne seront jamais à la hauteur des espérances de BFG. Bravement, MBK appose son logo sur la machine et la fait (sur)vivre jusqu’en 1988. Par la suite, une entreprise du Nord de la France nommée Atelier Précision rachète les moyens de production et le stock de pièces. Environ dix motos seront assemblées entre 1988 et 1996, puis ce sera au tour d’Atelier Précision de mettre la clé sous le paillasson. La production totale s’élève à plus ou moins 650 exemplaires, dont 150 MBK et 10 Atelier Précision.
Rétrospectivement, on se rend compte à quel point c’était perdu d’avance. Entre les japonais qui trustent le marché, la presse qui condamne sur des préjugés et le gouvernement qui joue l’arlésienne, BFG n’avait que peu de chances de briller au firmament du grand hit parade des deux roues. Et ce malgré toutes les qualités de son excellente machine. La moto française est maudite, c’est bien dommage car la BFG, si elle avait eu la chance d’exister au lieux de survivre, aurait été à coup sûr la génitrice du renouveau français dans l’industrie des deux roues de grosse cylindrée. Il faudra d’ailleurs qu’on reparle de Louis Boccardo, qui ne s’est pas arrêté là. Ses idées étaient à la fois simples, novatrices et efficaces. Mais pourquoi le monde de la moto est-il aussi fermé et con(servateur) ? Enfin, le bon côté de tout ça, c’est qu’aujourd’hui il nous reste des véhicules rares, de vrais collectors, la plupart du temps oubliés ou tout simplement ignorés, quand ils ne sont pas raillés par des ignares dont la taille du casque est inversement proportionnelle à celle de leur cerveau. Bref, si vous voulez vous démarquer avec un engin vraiment original, bourré de bonnes intentions et tout de même parfaitement utilisable, cherchez une BFG. On en trouve tout bêtement dans les petites annonces et à des prix très raisonnables. Comptez moins de 5000 € pour un modèle en bon état et n’ayez pas peur pour l’entretient, son moteur est aussi solide que connu et le Moto Club BFG, qui a racheté le stock à la fin de l’aventure Atelier Précision, veille à l’approvisionnement en pièces de rechange. Et puis son look, à défaut de faire l’unanimité, ne laisse personne indifférent. Il y aura toujours matière à discussion lors d’un rassemblement de young’ ou tout simplement à la terrasse d’un café. Alors, la BFG 1300 ? Vous aimez ou vous détestez ?
PS : si vous êtes vraiment intéressé par l’achat d’une BFG 1300, je vous recommande vivement de vous rapprocher du Moto Club BFG ainsi que la lecture de ce petit document – Conseils pour acheter une BFG
Texte: Thierry Vincent